Début de l'observation [Libre]

Vendredi après-midi.

Il y avait déjà quelques jours que Lisa Connor’s, agent fédéral australienne, était arrivée dans ce minuscule trou perdu qu’était cette ville nommée Acron. Tout était vieux, usé, rouillé, oublié et en décrépitude totale. Un trou à rats oui! La fine pointe technologique, on ne connaissait pas cela dans cette municipalité de Floride. Un désastre pour l’humanité.

*Pourquoi m’avoir envoyé ici? Ils ne m’aiment pas à ce point, le département des affaires secrètes?*

Lisa se posait la question depuis son arrivée. Que pouvait-il se passer d’étrange ici, à part un manque flagrant de budget pour la réfection des bâtiments et de rues? Par contre, il était vrai que la population, peu nombreuse et assez fermée, avait vu sa ville se gonfler rapidement de nouveaux habitants. Et pas n’importe lesquels. Accent anglais, un peu touriste, ces gens semblaient s’être installés là en masse, comme s’ils s’étaient consultés d’abord.

Assise sagement sur un banc de bois, cahier et crayon sur les cuisses, Lisa observait la foule avec un intérêt caché. Elle devait passer inaperçue. Telle était sa mission. Il lui fallait trouver une explication à cette immigration anglaise de masse dans une ville si peu connue. Agent fédéral… Ouais… Il y avait des missions plus palpitantes que d’autres.

Elle passa un instant à Jerry. Serrement au cœur.

Des gens passaient devant elle, faisant les emplettes, discutant avec des amis avant de rentrer de leur heure de dîner et personne ne se souciait de cette jeune femme assise sur un banc, lunettes de soleil sur le nez et petite robe pastelle sur le dos. Elle se mêlait à la masse avec aisance et en était ravi. Lisa prenait des notes; pas de doute, la majorité de ces gens avaient l’accent «british» et n’avait pas grandi à Acron. Que venaient-ils chercher ici?

Un peu distraite, Lisa se mit à dessiner la rue dans son cahier, esquissant des corps en marche, des voitures stationnées, des façades de maisons délavées. Perdre son temps? Bien sur que non, cela montrait des images du terrain! L’Australienne essayait de se motiver, mais en vain. Les Marquises lui manquaient, sa famille la croyait morte. Elle n’existait pour personne. Aucun registre ne l’identifiait et cela la déprimait fortement. Pour l’instant, il lui était impossible de vivre pour autre chose que le travail…Dans de telle circonstance, n’importe qui éprouverait ce désir de rester immobile dans la foule, en retrait, comme si l’on était qu’un fantôme…

Fantôme… Lisa ne croyait pas vraiment à l’occulte, mais gardait un espoir qu’il y avait une vie après la mort. La preuve, sa mort avait été annoncée et elle était toujours là, se disait-elle souvent à la blague.

Le dessin se précisait. Le crayon noircissait frénétiquement la page avec agilité, dirigée par la main minutieuse et pourtant rapide de Lisa. Elle dessinait sans penser, elle laissait ses yeux voir alors qu’elle était aveugle sur l’action qui se déroulait dans la rue. Puis elle ferma le cahier un moment, refermant ses paupières et respirant profondément. Partout autour d’elle, on s’activait, tout bougeait avec une énergie qu’elle comprenait mal. Elle se sentait étourdie.

Peut-être s’était elle endormie ou peut-être rêvassait-elle, mais des souvenirs remontèrent à la surface alors qu,elle gardait toujours les paupières closes. Un bateau coulé, sa maison vide. La mer. La solitude… Un revolver dans sa main. Des montagnes de papier. Le revolver qui tombe, tombe. Les rues se succèdent dans Sydney, elle fuit. Papiers, rapports. Le téléphone qui sonne. Une voix rauque. Les yeux de Jerry.

Un sursaut. Lisa ouvrit les yeux et passa ses mains dans son visage. Elle avait chaud. Se sentait mal. Elle se sentait prise dans un tourbillon qui l’attirait vers les abysses. Elle étouffait. Et comme pour se raccrocher à quelques choses, la jeune femme ouvrit son cahier et observa enfin son esquisse. Immédiatement, elle se sentit menacée. Instinct de flic? Non, du tout. De l’autre côté de la rue, sur le dessin, quelqu’un était appuyé contre la façade et l’observait. Autour de cet personnage tout le monde bougeait. Ils étaient donc deux qui ne se mêlait pas à la frénésie de la foule. Inquiète, Lisa leva les yeux. Pour se rassurer, elle tapota le pistolet qui était caché sous sa robe. Bien qu’elle ne le distinguait pas très bien, le personnage était toujours là, à l’ombre d’un auvent. Impossible de voir son visage, ni de déterminer s’il s’agissait d’une femme ou d’un homme. Mais tout indiquait que cet être l’observait toujours.

«Hey oh! Vous, là! Je peux peut-être vous aider?!»

Sa voix tremblait un peu, mais elle tentait de garder son calme. Voyons, qui pouvait bien l’observer aussi intensément?